On fait souvent faire remonter l’origine du Manga au Japon ancestral. En réalité, cela n’a guère plus de sens que de dater l’origine des Bandes Dessinées occidentales aux premières enluminures européennes du Moyen-âge ou à nos bibles illustrées. Bien sûr, on pourra alléguer d’une certaine « continuité narrative » dans les antiques reliques, mais, de tout temps, les hommes se sont racontés des histoires. Depuis les premières peintures pariétales à nos jours, ils se sont aussi servis d’illustrations pour les mettre en scène. De fait, sauf références explicites ou inspirations puisées à la source, il y a sûrement à peu près autant de points communs entre un Manga du XXIe siècle et les gravures anciennes de l’Empire du soleil levant, qu’il y en a entre l’Incal de Moebius et Jodorowsky et nos enluminures de vieux manuscrits. Et là encore, autre étape importante dans l’histoire du Manga : si la popularité de ses premières histoires n’aurait pas été possible sans la généralisation de l’imprimerie, pour faire ce que nous appelons, aujourd’hui, un Manga, il a fallu inventer des codes. Qu’on le veuille ou non, le Manga que l’on dévore aujourd’hui avec passion, est un art résolument moderne, un enfant du XXe siècle.
Ouverture sur le monde & influence anglo-saxonne
Dans le Japon de la fin du XIXe siècle qui s’ouvre au monde, les échanges culturels se multiplient. Des occidentaux viennent s’y installer. De leur côté, les japonais voyagent aussi et vont se former en Europe. La présence occidentale passe également, à cette période, par la presse anglo-saxonne installée sur place. La presse nippone, comme ses auteurs, en subiront l’influence. L’heure est à l’humour et à la satire et on cite souvent dans les événements précurseurs du Manga, l’influence de l’illustrateur anglais Charles Wirgman (1832-1891). Installé au Japon, il y publiera son célèbre magazine Japan Punch. Il sera aussi l’un des premiers à utiliser les bulles pour donner de la vie et du rythme à ses illustrations.
Deux autres illustrateurs compteront encore à cette période. Le premier se nomme Georges Ferdinand Bigot (1860-1927). Installé lui aussi au Japon, à partir de 1882, il s’y fait connaître pour ses gravures et ses caricatures. Sur place, il transmet aussi ses savoir-faire et son art aux japonais en les enseignant à Yokohama.
Autour de la même période, le hollandais Gustave Verbeck (1867-1937) apporte également sa pierre à l’édifice. Né au Japon, d’une mère française et d’un père néerlandais, il en partira pour étudier en Europe. De là, il décidera, finalement, d’aller s’installer aux Etats-Unis. Une fois sur place, il innovera dans le découpage narratif avec des illustrations qui feront date dans l’histoire de la BD. Dans sa série « Upside Downs of Little Lady Lovekins and Old Man Muffaroo » paru dans le New-York Herald de 1903 à 1905, il faudra ainsi retourner le périodique pour découvrir les histoires en miroir qu’il recèle. Au delà d’une certaine influence sur le manga, cet auteur est considéré comme un des pères de la bande dessinée moderne pour son audace et son inventivité.
Le premier Manga
Toujours dans le contexte satirique, c’est en 1902 que sortira ce qu’on définit, encore aujourd’hui, comme le premier album Manga. On le doit à l’illustrateur et caricaturiste Yasuji Kitazawa (1876-1955). L’homme est considéré comme un des premier mangaka (illustrateur spécialisé dans le manga). Du reste, il se baptise lui-même ainsi et on le connaîtra bientôt sous le nom de Rakuten Kitazawa.
Après ce premier album et pendant les années suivantes, cet auteur surdoué continuera d’exercer ses talents satiriques en créant ses propres titres. Dans un autre genre, il sera même un des premiers à créer des magazines dédiés aux enfants.
Le XXe : installation du Manga & contexte troublé
Dans les années 1920, l’histoire du manga se poursuivra. Elle verra même se structurer le genre, avec la première association de mangakas et les premiers grands événements autour du genre. En 1925, le couperet de la censure gouvernementale tombera et le genre devra alors se ranger au service de la propagande officielle. Période noire pour certains créateurs, le Manga sera rendu à soutenir les actions politiques et nationalistes jusqu’à la deuxième guerre. Le Japon n’est pas le seul pays dans cette tourmente et cette folie du siècle qui laissera derrière elle plus de 40 millions de morts. Il faudra attendre la fin de la guerre et la reconstruction pour que le Manga trouve de nouveaux codes et un nouveau souffle et quel souffle ! Les auteurs seront nombreux, créatifs, audacieux. Un d’eux pourtant fera figure de tête de proue, en innovant sur tous les points. On le nommera même plus tard le Dieu du Manga : Osamu Tezuka. Suivez nous à sa découverte